[ Scénario ] Souvenirs de Nîn-in-Eilph

En dépliant son avant bras doucement et en fendant lentement l'air nocturne devant lui, Maerond aurait pu sentir les roseaux fragiles et froids. Il aurait pu les effleurer en faisant chanter le vent entre les tiges, graciles silhouettes émergeant d'une brume matinale, sans couleur et sans vie. Et il aurait encore une fois découvert son visage. Figé dans un masque mortuaire, et pourtant si ... beau. Ses fins cheveux sombres dansant lentement devant son front froid, les yeux clos à jamais et l'eau comme linceul. Une tombe mouvante que tous pouvaient franchir, comme si la mort n'était qu'une invitation.

Maerond ouvrit les yeux. L'air doux carressait son visage mais nul réconfort ne vint se poser sur son âme. Il avait perdu Gwirithiel cette nuit là. Fauchée par les lames traitresses en un sanctuaire de paix. L'ode des elfes fut le prétexte à un sinistre massacre. Les souvenirs de Nîn-in-Eilph n'étaient que tristesse, douleur et mélancolie. Son âme les pleurait en silence depuis plus de quatre années.

Il entendait la clameur montant doucement de Combe en contrebas. Il se leva, sans être vraiment résolu à le faire, et enjamba le petit muret de pierre qui le séparait de la route venant de Staddel. La soirée tombait et les derniers voyageurs se hâtaient de rentrer en leurs demeures. Il avait finalement envoyé cette missive à son compagnon Daerandhir, qui comme lui avait vécu les sombres heures du Marais aux Cygnes. Il ne savait si le moment était venu de réouvrir le livre de la complainte, mais il pressentait qu'il pourrait en parler à ce voyageur à l'âme contemplative. Daerandhir DuathFaroth avait rejoint l'Ancien Cercle depuis quelques semaines seulement mais il sentait une grande volonté chez ce sage à soutenir les Maisons d'Heren Iaur.

Ouvre les yeux

Des DuathFaroth deux vinrent. Maerond reconnu Daerandhir le premier et il traversa la route à sa rencontre. Une dame marchait rapidement au devant de lui et ne s'arrêta tout d'abord pas. Lorsqu'elle se retourna, son visage lui sembla pourtant familier ... Elle se figea un instant et les trois elfes se dévisagèrent en silence dans les ombres. La journée s'achevait en embrasant le ciel d'un pourpre étrange.
Lorsque Daerandhir et Maerond se signèrent Moreressë reconnu enfin cet elfe qui avait combattu avec elle à Nîn-in-Eilph. Ces trois là ne s'attendaient probablement pas à se revoir en cette nuit pour évoquer leurs souvenirs ...

La route descendait en pente douce jusqu'au marché de Combe et bien qu'il fût l'un des derniers encore là, avec les quelques rares paysans qui reposaient leurs dos fatigués contre les barrières de bois, Maerond ne l'apperçu pas immédiatement. Un peu plus bas cependant alors que les elfes dirigeaient leurs pas vers l'auberge, Maerond ressenti un trouble chez l'homme qui le précédait et son comportement l'intrigua.
Tout à coup il réalisa qu'il connaissait ce visage taillé à la serpe, le front barré par des mèches sales qui cachaient mal un regard fuyant. La silhouette longiligne et courbée qui marchait devant lui accélera le pas et se retournait nerveusement en jetant des coups d'oeil furtifs vers les elfes. Maerond n'écoutait plus ses compagnons. Il ne connaissait pas le nom de cet homme, mais il savait qu'il l'avait déja pourchassé et combattu, et il aurait pu reconnaître entre mille cicatrices celle qui tranchait sa lèvre supérieure. Il le héla et accéléra le pas.

Ne te retourne pas

Daerandhir ne comprit pas immédiatement ce qui se passait mais Moreressë s'empressa de suivre le regard de Maerond et compris ce qui allait arriver. Le protecteur de Lindon eut à peine le temps de lui glisser que cet homme était à la solde de l'ennemi que déja le couard courrait de tout son saoul !
Il faut dire que ce bougre devait se croire assez impunit pour se permettre d'insulter inconsidérément marchands ou agent de l'ordre en leur riant au nez. Quelle audace ! Maerond qui ne supportait plus de voir ces maraudeurs parcourir librement le Pays de Bree n'allait pas laisser l'occasion de savoir ce que celui là préparait.

La course fut engagée. Le fuyard s'enfonça dans les champs et atteignit bientôt les Vieilles Souches. Sa course serait vite barrée par le marais de Staddel, Maerond s'attendait à devoir plonger à sa suite mais au lieu de cela ce pauvre fou se dirigeait vers la cascade. Daerandhir et Morerresë l'avaient rejoint avant lui et lui barraient la route. Il n'avait plus le choix. Rivé sur les pierres glissantes qui affleuraient à la jonction de la cascade et du vide, le maraudeur balaya l'espace le séparant des elfes de grands mouvements d'épée.
Maerond l'avait déja affronté et il savait qu'il n'aurait aucun mal à le mettre à terre, d'autant plus accompagné des puissants de l'Hered DuathFaroth. Son sort était scellé, et l'homme devait le sentir mais il continuait de railler ses adversaires sans vergogne. Quelle folie pouvait donc bien le tenir ainsi ?
En faisant mine de s'avancer pour le désarmer Maerond fît reculer le fuyard d'un pas de trop, et il eu beau jeter son bras en avant pour le retenir que le corps de l'homme disparaissait déja dans les eaux bouillonnantes, emporté dans une chute mortelle. Son cri déchirant fût englouti par le flot tumultueux avant même que les elfes ne puissent esquisser un mouvement.

Et meurt

L'homme avait réussi à se hisser sur la berge, son pourpoint s'était déchiré sous la violence des remous au milieu des rocaillles et ses cheveux se mélaient indistinctement au sang et à la terre. Il grimçait de douleur, implorant la fin de son supplice et la clémence de sa pauvre mère. Le spectacle était désolant et il était incroyable de voir ce miséreux encore en vie. Les elfes qui l'avaient rejoint en dévalant la colline aussi vite que possible tentèrent de le maintenir en vie, mais c'était là peine perdue. La compassion elfique qui semblait alors plus forte que leur curiosité pour les plans d'un ennemi, se trouva troublée à la vue d'un rouleau détrempé qui dépassait de la besace du maraudeur. Les elfes ne l'avait pas remarqué mais lorsque Maerond tenta de penser une blessure en faisant glisser l'homme sur son flanc, le parchemin caché fut révélé.

Les elfes ne voulaient pas que l'homme, qui semblait en sentant ses dernières heures arriver capable de confidences, rende son souffle sans dévoiler son rôle et son seigneur. Maerond se souvenait que celui-ci avait servit un lieutenant du dénommé "Sharcoux" la première fois où il l'avait croisé, mais servait il toujours le même maître ... à Combe ?
Les soins étaient impossibles au vu de son état et Tarlan, ainsi qu'il avait avoué s'appeler, agonisa dans la glaise, étouffant dans son propre sang.

Une énigme dans le noir

La mort n'était jamais une choses plaisante, même celle d'un ennemi. Le pauvre Tarlan qui avait du accomplir des choses néfastes n'en méritait pas moins une sépulture et il fut décidé qu'elle lui serait offerte. Les bêtes sauvages auraient tôt fait de venir rôder attirées par l'odeur du sang ... De cet homme peu de choses furent apprises. Il accomplissait un "devoir" ou était le messager d'un homme de Dale, au teint sombre. Mais il ne savait rien de lui, sinon qu'il le craignait peut être ... Rien sur lui n'aurait pu aider les elfes à en savoir davantage, quelques piécettes, un vieux poignard et ce parchemin humide. Rédigé en un langage indéchiffrable. Moreressë tenait pourtant pour acquis que les signes de cette écriture auraient pu être des Cirth d'Erebor ...

Tandis que Maerond et Daerandhir creusaient le sol meuble au pied d'un arbre qui surplombait la colline du Bois de Chet, quelques maraudeurs s'approchèrent à la faveur de la nuit ... et y retournèrent les deux pieds devant.
Les étoiles et la mort n'apporteraient pas plus de réponse au sommet de la colline et l'air calme du soir n'apaisait pas les esprits elfiques éveillés par cette énigme. Tous s'en retournèrent à Staffolde, à la demeure d'Heren Iaur.

Eldegar Barandath qui attendait le retour de ses compagnons, assis sur les pierres de la vieille stèle de la demeure, ne pût qu'écouter et secouer négativement le visage devant le parchemin mystérieux. Le rohir ne possédait pas la clé de cette énigme ni la science du langage précieux d'Erebor. Du Mont Solitaire pourtant il était un khazad que les elfes attendaient de revoir pour l'entendre sur ces signes ...

La journée suivante apporta deux précisions capitales dans cette affaire. La première est que les khazadrim aiment à se gratter la barbe lorsqu'ils lisent et invoquent leurs ancêtres. La seconde est qu'il faut toujours avoir la sagesse de s'entourer d'amis nordiques lorsqu'une intrigue se rapproche de Dale.



Maerond souriait en silence à ces pensées savantes, s'amusant lui-même de cette inutile science. Il n'affichait pourtant pas le même sourire lorsqu'au petit matin, Daerandhir, Moreressë et lui avaient frappé à la porte de Barundir au 1 rue du Large Gué à Lunegarde.
Un nain bougon et peu empressé de sacrifier à sa collation s'était extirpé de la petite masure en réajustant un épais pourpoint de cuir et dévisageait curieusement sous ses épais sourcils noirs le trio elfique. En sus du dérangement matinal, de la massive présence elfique, et de ses recherches dans de précieux livres d'Erebor qu'il avait conservé de ses voyages comme s'il s'agissait de l'ascendance complète de la lignée de Durin, Barundir eut la désagréable surprise de ... ne rien traduire de compréhensible !

En effet, fier de parvenir à déchiffrer ces mystérieux signes qui tenaient les elfes en haleine, le khazad commença à lire solennellement les Cirth avant qu'il ne se reprenne et ne trébuche sur le sens des phrases. Ce qu'il lisait n'avait aucun sens ...
De toute évidence un autre patois maintenait le mystère d'une traduction intelligible. Barundir crut deviner dans ces intonations une variante du nordique, un langage qu'il avait entendu autrefois dans la cité de Dale au pied du Mont Solitaire. Et en cela il ne restait bien qu'Imriagh Branwaigh, l'ami d'Eothred pour y comprendre un traitre mot ... Si tant est qu'on arriva à le trouver.



Moreressë ne connaissait pas cet Imriagh et Daerandhir n'avait du le rencontrer qu'une seule fois aussi laissèrent ils le soin à celui qui semblait le plus à même de retrouver sa trace de partir à la recherche du nordique. Aux dernières nouvelles Maerond avait appris qu'Imriagh était à Pont à Trétaux, il lança donc sa monture en direction de la frontière nord.

L'elfe avait passé la matinée à sillonner le bourg de Pont à Trétaux et les environs sans trouver nulle trace du nordique. il avait bien questionné quelques gens, mais tant de voyageurs passaient par ici qu'on ne lui donnait aucune indication fiable. De plus il sembla à Maerond que l'on se méfiait d'un elfe qui était sur les traces d'un homme ... Dire qu'il s'était battu pour ces gens. Il finit par tourner bride, le sourcil froncé et l'esprit préoccupé, et revint à Bree après avoir un instant songé à chercher plus au nord.

Imriagh pouvait être n'importe où se dit-il en pénétrant le Poney Fringuant. N'importe sauf ici selon toute vraisemblance, car il ne reconnu pas son visage parmi les voyageurs attablés dans l'ambiance enfumée de la taverne. De nombreuses gens circulaient à Bree, il se rendait à présent compte qu'il n'arriverait seul à cette tâche et le temps semblait alors trop important pour être perdu. Quelque chose lui disait que ce parchemin contenait des informations précieuses ... Il ne pouvait non plus le faire traduire par n'importe quel nordique, ce devait être un homme de confiance.

Si Eothred était en sa demeure ou a Staffolde il devrait peut être pouvoir l'aider à trouver Imriagh. Il se maudit de n'y avoir pensé plus tôt et se hâta vers les résidences du Pays de Bree.
Il franchit au galop le porche de pierre, manquant de renverser la garde et sauta de sa monture à peine le seuil du domaine du capitaine rohir franchi. Gravissant les quelques marches de pierre qui menaient à la lourde porte de chêne, il réajusta son tabard elfique et frappa en se contenant du mieux qu'il pût.

La voix du capitaine filtra à travers l'embrasure de la porte alors qu'elle s'ouvrait lentement. Eothred était en pleine conversation et ouvrait sans regarder qui frappait à l'entrée. A peine eût-il le temps de reconnaître Maerond et de le saluer en inclinant son front, que l'elfe s'empressa de se glisser dans la pièce pour découvrir Imriagh planté dans la salle principale. Maerond sourit de satisfaction ...
La surprise passée le messager elfique expliqua en détails la raison de sa visite et son grand empressement, l'épisode de la cascade et la découverte du parchemin. Il ne mentionna que très brièvement Nîn-in-Eilph pour ne pas perdre ses interlocuteurs ni réveiller sa propre douleur.

Eothred poussa les cartes qui encombraient la table centrale et alla les ranger en les roulant sur l'étagère d'une petite bibliothèque proche du hâtre. Le capitaine rohir avait l'air soucieux, et Imriagh ne quittait plus des yeux le petit parchemin que l'elfe venait de lui remettre, ainsi que les notes griffonnées par Barundir à son attention sur la traduction particulière de certains Cirth. Quelques trop longs instants, le verbe ne franchissant ses lèvres dures qu'en un murmure profond, Imriagh hésita et chercha les mots les plus justes. Se passant une main sur la nuque pour la masser, le nordique haussa les épaules en inspirant, puis se rapprocha de ses compagnons comme pour mieux partager une confidence. L'Eriador Libre serait trahit, ce message en apportait la preuve.



Il fût décidé que ce manuscrit devait être porté à la connaissance de la Compagnie du Roseau Blanc dans les plus brefs délais. Que ce message dise vrai ou non, qu'il soit l'oeuvre d'une conspiration ou pas, la confrérie mentionnée devait être avertie d'un danger en son sein.

Maerond et Eothred connaissaient l'existence des Messagers du Lond Daer, Heren Iaur aurait besoin de leur aide pour rencontrer un émissaire de la Compagnie du Roseau Blanc. Eothred se dirigea vers le petit bureau attenant à la salle du hâtre, saisi une plume et une feuille de parchemin vierge et entama la rédaction d'une missive.
Et lorsque le capitaine se retourna pour tendre à Maerond le message sur lequel il avait apposé un sceau de cire, l'elfe comprit en un regard que le rohir n'aurait pas laissé à Tarlan la chance de tomber de la cascade ...

Gilbrìan, Saute-Ruisseau des Messagers du Lond Daer, s'était arrêtée deux jours au Relais de Bree pour y prendre les derniers courriers. Dans moins d'une semaine, elle allait reprendre la route pour le Lindon.

Curieuse de nature, elle avait pris connaissance de la Missive d'Eothred Isenfold, de l'Ancien Cercle. Oh, elle n'aurait pas de mal à le renseigner au sujet de la Compagnie du Roseau Blanc : ils avaient installé leurs Quartiers en face du Relais, à Cornemur.

Elle guiderait l'Ancien Cercle jusqu'au Roseau Blanc, ce soir.
Pour l'heure, elle préparait son cheval, souriante à l'idée de revoir Espelor...

Gilbrìan fit parvenir un message en réponse à Eothred :

Citation :

Aur Mae, Brannon Eothred Isenfold, Caun in Cheren Iaur.
Bonjour à vous, Seigneur Eothred Isenfold, Chef de l'Ancien Cercle.

Im nan Gilbrìan, Coleth in Estel, Sell en Eglath i Nost en Elwë, a im nathon luthannen govo cen.
Je suis Reine Etoile, Porteuse d'Espoir, Filles des Eglath de la Maison d'Elwë, et je serai ravie de vous rencontrer.

Je me présenterai à votre demeure ce soir lorsque le Petit Chariot sera sous la Lance d'Oromwë [HRP : 21h15] et vous conduirai volontiers aux Quartiers de la Compagnie du Roseau Blanc afin que vous leur portiez les renseignements que vous souhaitez leur transmettre.

Espoir est vertu.
Gilbrìan, Saute Ruisseau des Messagers du Lond Daer.

L'Arahîr d'Heren Iaur était plongé dans une conversation avec Moreressë et Daerandhir sous la futaie de l'imposant chêne de Comté qui flanquait le manoir, lorsque la messagère apparut à l'entrée du domaine. Attentive et gracile la silhouette de celle qui devait être Gilbrìan, Saute Ruisseau des Messagers du Lond Daer, se tenait juste à côté des ruines du belvédère qui projetait son ombre craquelée sur le petit muret de pierre de la rue haute.

Eothred se dirigea prestement pour accueillir l'envoyée de l'ancien port et à peine arrivé à sa hauteur cette dernière se signa en un sindarin parfait. Le rohir eu peine à comprendre l'accent qui était celui de la Messagère, une intonation ancienne et son manque de pratique de l'elfique, malgré les enseignements reçus d'Arcamenel, ne rendaient pas les choses aisées. Percevant certainement l'hésitation du capitaine, Gilbrìan se présenta dans la langue commune avec respect. Il s'agissait bien de celle qu'il attendait.

L'invitant à rejoindre les nandor au pied du chêne, Eothred dévisageait curieusement cette elfe. Elle se présentait comme l'une des Eglath ... Il lui semblait avoir entendu ce mot ancien, mais ne parvenait sur le moment à replacer ce détail dans sa mémoire. S'il s'agissait d'une elfe de la Maison d'Elwë comme elle le disait alors ses racines plongeaient dans un passé très lointain. Il questionnerait Anariath à ce sujet, il se souvenait que lui aussi était de Doriath, sans réellement comprendre combien cette époque était éloignée du Tiers Age ...
Les héritiers de l'Hered DuathFaroth firent bon accueil à Gilbrìan, qui proposa rapidement de rejoindre les quartiers du Roseaux Blanc à Cornemur.



Le capitaine était mal à l'aise; il attendait encore quelques uns des siens qui ne semblaient pas vouloir apparaître avant le départ imminent. Se souvenant qu'il avait laissé à l'étage les documents qu'il souhaitait dévoiler à la Compagnie infiltrée, il s'excusa auprès des hôtes. Remontant les marches du manoir quatre à quatre il se précipita dans la pièce des officiers pour y fouiller la bibliothèque. Il avait soigneusement caché le parchemin récupéré des mains de Moreressë dans un vieux grimoire traitant de l'histoire d'Arnor, tout en ayant au préalable fait établir par Maerond deux copies du précieux message, dont une était dans ses appartements à Criqueval.

Eothred rejoignit les elfes à l'entrée du voisinage de Cornemur, avant que tous ne franchissent la porte de pierre qui menait à l'agréable route traversant un quartier joliement décoré. Les demeures étaient semblables à celles de Staffolde, reflétant l'architecture typique du Pays de Bree. Ils les longèrent un moment avant de gravir un chemin dont le tracé s'achevait aux limites d'un grand jardin aménagé de quelques ornementations elfiques. Les oiseaux chantaient ici et l'air était calme, Eothred respira profondément en se demandant s'il n'allait pas avec les siens apporter la confusion dans cet endroit paisible. Probablement, mais comment faire autrement avec un tel brulôt entre les mains ?
La Saute Ruisseau s'inclina avec respect devant la figure d'un Gil-Galad à la pierre soigneusement taillée, ce qui ne manqua pas de provoquer l'étonnement du rohir. Gilbrìan le remarqua mais se contenta de rappeler son allégeance au Haut Roi défunt ... avant de frapper à la porte de la demeure de la Compagnie du Roseau Blanc.

Eothred n'écoutait plus Moreressë et Daerandhir narrer devant l'assemblée du Roseau Blanc la découverte de l'étrange message et la poursuite de l'espion de Combe. Le rohir dévisageait les deux elfes venus avec lui comme s'il venait de les découvrir. En pénétrant le manoir de la confrérie qu'ils étaient venus avertir d'une menace, les elfes partageant les espoirs de l'Ancien Cercle et certains du Roseau Blanc semblaient s'être reconnus ... Aedhras et Galadas, cités dans le message de l'espion, avaient vécus de bien sombres heures aux côtés de Moreressë, Daerandhir et Maerond. Ce qui signifiait que lorsque l'Ancien Cercle avait accueilli les DuathFaroth, ils connaissaient déja Maerond. Pourquoi n'en avaient-ils jamais parlé ? Quelle pudeur ou quelle tragédie aurait ainsi pu sceller leurs lèvres, qu'aucun ne partage cela avec les gens de Staffolde ... ?

"Tous, nous possédons des secrets ..." Les mots de Galadas Eleredh firent tourner le visage d'Eothred vers l'elfe qui répondait aux émissaires d'Heren Iaur. L'ambiance était rapidement retombée avec leur arrivée impromptue. La compagnie du Roseau Blanc avait été interrompue dans une réunion semble t'il importante, et malgré son accueil courtois elle se rendait progressivement à l'évidence que cette irruption relevait plus de la sentence que de la déférente ambassade.
Le temps des présentations passé le capitaine du Rohan s'était adressé à l'assemblée en déclarant une menace pour le Roseau. Des paroles qui laissèrent des visages inquiets autours de la table et emplirent le lieu d'une certaine agitation. Les seigneurs elfes qui résidaient là en l'absence de la maîtresse de la Compagnie eurent tôt fait de prendre connaissance de la missive découverte sur le corps de Tarlan. Et relevèrent un regard grave vers les émissaires de l'Ancien Cercle une fois parcourues les lignes traduites par les soins d'Imriagh. Le message de l'espion ne laissait aucun doute sur l'effet qu'il allait produire ... lorsque Galadas et Aedhras déclarèrent qu'un traître se terrait dans leurs rangs.



Certains avaient déja quitté la grande pièce offusqués par de telles déclarations tandis que des murmures parcouraient les lèvres pincées ... Eothred se sentait responsable d'apporter ces rumeurs dans l'enceinte de Cornemur mais les choses devaient être entendues pensait-il pour préserver la force de ceux qui faisaient front contre la menace du nord.
Au delà de l'infiltration probable de la Compagnie, le Roseau Blanc semblait agité par un message qui annonçait d'étranges révélations sur ses origines. Bien qu'il n'en compris pas réellement le sens.

Les gens du manoir s'interrogeaient à présent sur nombre de choses, et Eothred fût heureux de voir l'un de ses frères rohirrim pénétrer la pièce en ces heures incertaines. Il avait laissé une note à l'attention de Gwalchmei à Staffolde sur le départ des émissaires de l'Ancien Cercle pour Cornemur, et il ne fallu pas longtemps avant que Gilbrìan ne le retrouve et ne le mène sur les terres du Roseau Blanc.

Les discussions qui s'ensuivirent jetèrent un trouble parmi l'assemblée, mais Galadas, Aedhras et l'elfe Fëadin trouvèrent le sang froid et les mots justes pour rassembler les leurs et prendre de sages précautions avant de s'occuper de cette "affaire". Malgré l'invitation à rester pour partager une généreuse table, les émissaires d'Heren Iaur prirent le parti de quitter la demeure du Roseau Blanc, car en cette heure toute convivialité leur paraissait amère ...
Il fût cependant décidé en dernières paroles que les compagnies pourraient s'apporter entraide si l'époque l'exigeait. Et l'époque l'exigeait dès à présent.

Quelques jours passèrent et les nuages s'amoncelaient au nord et à l'est. D'étranges rumeurs parvenaient d'au delà d'Hitaeglir. Jusqu'à ce que l'Arahîr d'Heren Iaur, rangeant quelques vieilles cartes encombrant son petit bureau à l'étage de la demeure de Staffolde, ne tombe sur cette missive que l'on avait déposé à son intention :

Cher Rohir,

Par votre entremise j'ai perdu un espion.Il n'était certes pas d'une importance capitale, mais le fait qu'il ait vidé les caisses du Roseau et remplit les miennes me l'avait rendu sympathique. Il avait presque fini son travail, aussi je ne vous tiens pas rigueur de votre intervention.
Prenez ceci cependant comme un avertissement : ne vous mettez pas en tête de vous mêleR à ces guildes qui essayent vainement de s'associer contre l'Angmar. Il pourrait arriver à vos hommes des ennuis plus graves que ceux que vient de rencontrer la messagère Gilbrian.

Bien cordialement.